NATION - Nation et idéologie

NATION - Nation et idéologie
NATION - Nation et idéologie

Le peuple, l’ethnie, la nationalité, la nation sont des vocables différents pour désigner divers types de formations globales d’une envergure qui dépasse et transcende celle des groupements globaux primaires: clans, tribus, villes et villages, cités-États, provinces. Ils impliquent tous un développement de solidarités unissant ces groupements ethniques ou territoriaux, ou encore à la fois ethniques et territoriaux. L’accord n’est pas fait sur l’affectation de chacun de ces termes-étiquettes à un type différent de formation. Il importe surtout de bien saisir qu’il existe une gradation infinie de formes et que les critères de différenciation sont multiples.

Tout groupement de ce genre a, au minimum, une conscience diffuse de lui-même, une idéologie implicite qui correspond à la perception de sa réalité et répond (plus ou moins bien) aux exigences de sa situation. Des intellectuels, fussent-ils de type très primitif, en élaborent des théorisations plus ou moins poussées, explicitent avec quelque gauchissement ces éléments idéologiques de base. Au minimum, le groupe ethnico-national s’y trouve défini, délimité par rapport aux autres. Les traits culturels et les institutions qui font ou sont censés faire sa spécificité s’y voient rattachés à son identité. Toutes ses manifestations d’unité y sont justifiées, légitimées.

On peut appeler idéologies ethnico-nationales toutes ces idéologies plus ou moins explicitées ou théorisées. Le terme de nationalisme, plus spécial, a été, en général, affecté soit à l’idéologie de la nation-État de type contemporain, soit aux développements idéologiques les plus théoriques, les plus agressifs – les plus dégagés aussi de toute référence autre – émanant des divers groupes ethnico-nationaux.

1. Idéologies et formations ethnico-nationales

Les idéologies ethnico-nationales varient naturellement d’abord selon le type de groupement auquel elles correspondent.

Les ethnies inorganisées sont des ensembles non structurés ou peu structurés d’unités pratiquement indépendantes: tribus, cités-États. On peut prendre comme exemples les tribus gauloises, germaniques, israélites ou arabes, les cités-États sumériennes, grecques ou mayas, les nomes égyptiens à l’époque prédynastique. Ces unités dont les membres parlent la même langue et ont en commun de nombreux traits culturels se reconnaissent une parenté sur le modèle du clan ou de la famille. Souvent des institutions en manifestent, à certains intervalles au moins, l’unité très relative. Ainsi les amphictyonies, les pèlerinages au même sanctuaire, les foires ou marchés communs, les compétitions sportives ou littéraires comme celles des jeux Olympiques ou du marché arabe pré-islamique de ‘Ok ワ.

Les États ethnico-nationaux apparaissent lorsque se forme une structure étatique englobant une ethnie déterminée ou une partie importante de celle-ci. L’unité politique peut niveler alors plus ou moins les différenciations internes suivant la force de l’État, le degré d’intégration que les conditions économiques et géographiques permettent. L’idéologie ethnico-nationale se renforce et se constitue en idéologie d’État. Ainsi l’Égypte pharaonique, les royaumes israélites antiques, les grands royaumes chinois. Plusieurs États peuvent se constituer pour une même ethnie, et alors l’idéologie ethnique garde en grande partie le même caractère que dans le type précédent.

Les empires , unités étatiques où une ethnie (en général groupée déjà dans un État ethnico-national ou au moins formée de tribus ou cités fédérées, comme dans le cas des Aztèques) en domine d’autres. Ce sont de fortes formations qui développent une idéologie propre en dehors ou au-dessus des idéologies ethniques. Si, comme il arrive, les ethnies ont tendance à se fondre en son sein, on retombe dans le cas de l’État ethnico-national.

De même, les communautés religieuses universalistes englobent normalement plusieurs ethnies en totalité ou en partie. Ici aussi l’idéologie religieuse apporte une concurrence sérieuse à l’idéologie ethnico-nationale.

La dislocation des empires crée des États territoriaux ethnico-nationaux, ou correspondant à des fractions d’ethnies, ou encore pluri-ethniques. En Europe occidentale, dans la seconde partie du Moyen Âge, des monarchies puissantes, en France et en Angleterre, appuyées sur des bourgeoisies riches, influentes et dynamiques, créent des États nationaux (ou nations-États ) qui englobent la majeure partie d’une ethnie dont les unités internes ont été à peu près complètement effacées par l’importance de l’intégration économique. De même l’adaptation des grandes communautés religieuses universalistes à la variété des conditions locales et des États, parfois allant jusqu’au schisme idéologique, les scinde en Églises nationales dont l’idéologie peut se conjuguer avec celle de l’État national, notamment quand celui-ci s’oppose à la communauté universaliste (ainsi le gallicanisme).

Dans le cadre des États ethnico-nationaux, des empires ou des nations-États, peuvent subsister ou se constituer des ethnies ou quasi-nations , en situation dépendante, plus ou moins unifiées, plus ou moins intégrées dans l’État, plus ou moins sensibles à l’idéologie intégratrice de l’État suivant les situations. Elles forment donc des minorités idéologiques à caractère ethnico-national, parfois rattachées à une communauté religieuse (Parsis dans l’Inde, Juifs...), parfois plus ou moins spécialisées dans une fonction sociale (forgerons, parias...) et prenant le caractère de castes (Noirs des États-Unis). Elles peuvent se réduire jusqu’à disparaître parfois par fusion, ou au contraire se consolider dans une attitude de sécession revendicative. Les communautés religieuses minoritaires et dépendantes, sans caractère ethnique propre, se rapprochent néanmoins souvent de ce type (diverses Églises chrétiennes d’Orient).

Au XIXe et au XXe siècle, la prédominance mondiale de l’État-nation, au moins en tant que type de groupement admis par tous comme supérieur, ainsi que la décadence corrélative des communautés religieuses comme type acceptable de groupement suprafonctionnel amènent la constitution d’une société de nations . Celle-ci reproduit à une échelle supérieure le monde des ethnies coexistantes de naguère. La multiplication des liens internationaux conduit à l’aspiration à la supranationalité, à la formation de communautés supranationales, de ligues de nations, à des projets de fédérations, parfois à des tentatives d’empires comme l’empire allemand national-socialiste. D’autre part, la constitution d’une communauté idéologique universaliste , le monde communiste, qui à un moment donné s’est approché (pour le moins) du type impérial, reproduit la dynamique de constitution et de dislocation des empires et des Églises du passé, avec schismes idéologiques, affermissement des États-nations non pleinement intégrés dans l’empire, aspirations à en former pour les ethnies ou nationalités intégrées politiquement. La complexité de ces formations fait comprendre l’existence d’une pluralité éventuelle de cadres pour le même individu ou le même groupe. On peut se rattacher à la fois à deux formations, à deux paliers différents.

2. Orientations et structure des idéologies ethnico-nationales

Les orientations en fonction des situations

Une idéologie ethnico-nationale ne se comprend qu’en fonction d’une orientation d’ensemble qui marque de son signe tous les éléments de sa structure. Cette orientation constitue en somme le rapport entre la situation où se trouve placé le groupe et les aspirations de ses membres, suivant les possibilités réelles ou imaginaires de satisfaction de celles-ci.

Les idéologies ethnico-nationales sont normalement des idéologies d’affirmation , donnant simplement une forme idéologique à une conscience d’unité relative. Sous cet aspect, elles se rangent dans les idéologies «idéologiques» au sens strict de la classification de Karl Mannheim, c’est-à-dire qu’elles ne font que transcender la situation réelle du groupe en lui donnant un aspect embelli, mystifié, mythifié, sans qu’on cherche à réaliser réellement l’idéal dessiné. Mais l’affirmation se relâche ou s’aiguise suivant les situations, essentiellement suivant le degré des tensions internes entre les groupes, suivant aussi les menaces ou les attractions de l’extérieur.

Une forte tension entre les groupes internes peut amener à un mépris pratique de l’unité ethnico-nationale, plus rarement à une contestation théorique. Il est plus aisé de dénoncer les groupes ennemis comme trahissant le comportement idéal de l’ethnie.

Des conflits aigus et durables avec les ethnies voisines peuvent développer des idéologies de compétition ou de combat , idéologies mobilisatrices. Les mythes apologétiques et ceux qui dénigrent l’ethnie opposée se multiplient. Les dieux des uns et des autres sont mobilisés en même temps qu’ils sont respectivement exaltés ou dénigrés. Pour exemple, entre mille, citons les vers de Virgile assimilant la campagne d’Octave contre Antoine et Cléopâtre à une lutte entre ethnie romaine et ethnie égyptienne:
DIR
\
Omnigenumque deum monstra et latrator Anubis
Contra Neptunem et Venerem contraque
[Minervam ] tela tenent, /DIR

«D’affreux dieux de toutes espèces avec l’aboyeur Anubis combattent contre Neptune et Vénus, contre Minerve» (Énéide , VIII, 698-700).

Qu’une ethnie, habituellement unifiée par un État (ou au moins fédérée) passe à une politique impérialiste, domine ou vise à dominer d’autres ethnies, et l’on voit apparaître une idéologie de domination . Le règne de cette ethnie dominante est identifié à l’ordre cosmique, ses mœurs et ses institutions à la réalisation de l’idéal humain. Ceux qui y résistent sont des rebelles à l’ordre universel. Ils sont rejetés dans la catégorie de l’infra-humain, du bestial, rattachés au désordre des éléments du chaos primordial, aux divagations préculturelles de la nature pure. Il s’agit encore d’idéologies «idéologiques» au sens de Mannheim.

En face de ces efforts de domination se forment des idéologies de résistance et, si la domination est un fait accompli, de révolte intensément mobilisatrices. C’est alors que l’on insiste sur la loyauté ethnique, sur la fidélité aux valeurs et aux dieux nationaux, contre les dominateurs présomptifs ou réels et surtout contre les groupes à l’intérieur de l’ethnie qui choisissent la «collaboration». Au-delà, toute une idéologie de l’indépendance nationale, de la liberté, dénonce l’oppression et la tyrannie en elles-mêmes en même temps que la cruauté et les mœurs dissolues qui sont censées être inhérentes à l’ethnie dominatrice, ainsi que le luxe qu’elle tire de ses pillages. Parfois même, l’horizon ethnique est dépassé. Un appel est fait à la solidarité des ethnies menacées et on va jusqu’à postuler leur unité profonde. Ainsi pour les Celtes et les Germains face à Rome. Il s’agit maintenant d’idéologies «utopiques» selon la terminologie de Mannheim, transcendant la situation réelle du groupe pour tracer le tableau d’une situation idéale qu’on appelle à réaliser par l’action.

Si des expériences répétées persuadent que la révolte ou la résistance sont vaines, on peut voir se développer des idéologies de résignation, de soumission ou encore de dépassement . La soumission est souvent vantée par le biais de la louange de la nation conquérante, de ses vertus, de sa «mission», des bienfaits de la paix qu’elle instaure, des valeurs de la civilisation qu’elle développe au sein de son empire. Si les conditions culturelles et légales ne s’y opposent pas, on prône l’assimilation ou l’intégration à cette nation. D’ailleurs, des considérations démographiques, financières ou autres peuvent amener les conquérants, de leur côté, à favoriser cette assimilation, à ouvrir leurs rangs à leurs sujets. Ainsi les Romains lors du célèbre édit de Caracalla (212). D’où l’apologie de l’assimilation romaine par le Gaulois Rutilius Namatianus (Ve siècle):
DIR
\
Fecisti patriam diversis gentibus unam
. Urbem fecisti quod prius orbis erat ,/DIR

«Des divers peuples tu as formé une seule patrie [...], ce qui était un monde tu en as fait un seul État» (Itinerarium , I, 63, 66).

À côté de ces idéologies de soumission et dans les mêmes circonstances, on voit croître des idéologies de dépassement du problème national: adhésion à des philosophies ou des religions universalistes.

Les niveaux d’organisation et de production des idéologies

Les idéologies ethnico-nationales s’organisent et s’explicitent à différents niveaux.

Ce peut être au niveau de la société globale, du groupe ethnico-national dans son ensemble. Si celui-ci ne cherche qu’à persister dans son être et n’est pas l’objet de menaces dangereuses, il s’agit d’idéologies «idéologiques», conservatrices, magnifiant la situation réelle, au mieux traçant le tableau d’un progrès graduel de celle-ci. Les projets «utopiques» ne peuvent venir que de groupes mal intégrés ou se situent dans le domaine de la lutte sociale qui échappe à notre analyse. Si, au contraire, le groupe est menacé ou se décide à menacer les autres, il en émane des idéologies «utopiques» d’affermissement ou de conquête et de domination.

Les idéologies ethnico-nationales peuvent être le fait de groupements spécialisés ou de classes , comme les intellectuels, les militaires, les travailleurs productifs. Dans la mesure où leurs idéologies ne sont pas adoptées par l’ensemble de la société, ces groupes constituent tous une classe à part. Par exemple, les militaires peuvent produire des idéologies de domination dans le cadre d’une société pacifique, ou les travailleurs des idéologies pacifiques dans le cadre d’une société conquérante (mais ce peut être l’inverse).

Les idéologies en question peuvent être produites ou adoptées par des mouvements idéologiques plus ou moins structurés en organisations. Il peut s’agir d’un mouvement social ou religieux, par exemple, qui adopte un projet de type ethnico-national en l’insérant dans la synthèse idéologique qui l’anime (islam primitif). Il peut s’agir aussi d’un mouvement consacré essentiellement à la cause nationale, d’un mouvement nationaliste donc. On peut avoir affaire alors à de vastes mouvements informels, entraînant des masses par le canal de multiples organisations concurrentes ou en dehors d’elles, comme peut se former un mouvement constitué en une organisation unique bien délimitée, un parti.

Les théorisations, plus ou moins élaborées, sont le fait d’intellectuels. Ceux-ci expriment naturellement, en même temps que le point de vue du groupe fonctionnel qu’ils constituent, celui de la classe à laquelle ils se rattachent. Cependant il ne faut pas perdre de vue deux points. D’une part, leur théorisation prend pour matériel, a pour base et point de départ les sentiments, l’idéologie implicite créés par la situation globale de l’ethnie dont ils font partie. D’autre part, elle a une fonction de mobilisation et doit donc satisfaire les sentiments des masses de l’ethnie dans son ensemble. On ne peut donc ramener purement et simplement ces théorisations à des mythes utilitaires d’une classe de la nation dont elles émanent, comme les marxistes ont trop souvent tendance à le faire. Elles ne réussissent que dans la mesure où elles dépassent un étroit horizon de classe. Mais on ne peut nier non plus le faciès de classe qu’elles revêtent.

Les représentations

L’idéologie constitue une représentation orientée du monde tournée vers l’action sociale. On en tire des directives de comportements, d’actions, individuels ou collectifs. Elle peut laisser en dehors de son domaine une partie de l’univers pour laquelle sont nécessaires des représentations objectives, conditionnées seulement par les nécessités de l’action technique et les possibilités de compréhension du réel, mais elle tend souvent à s’étendre même à ce domaine. Le matériel en est tiré pour la plus grande part du monde objectif, les éléments de celui-ci étant affectés d’un signe positif ou négatif suivant l’orientation générale de l’idéologie et la forme d’organisation qui préside à sa formation. De plus, l’extrapolation est la règle, qu’il s’agisse de généralisation des qualités réelles des êtres, de la multiplication de ceux-ci par la prolifération d’êtres abstraits ou surnaturels, de la projection du présent dans le passé ou l’avenir. Il y a processus constant de mythification.

L’acteur principal du drame cosmique est le groupe ethnico-national lui-même, éventuellement transposé ou incarné en un chef humain ou en une divinité «ethnarque» (suivant le terme et la théorie de l’empereur Julien). Le groupe est nettement délimité vis-à-vis de l’extérieur et ses relations définies par rapport aux autres groupes. Cela est exprimé par des mythes qui sont le plus souvent des mythes d’origine ou généalogiques. Ils transposent en liens de parenté les relations que se reconnaissent les unités ethnico-nationales, parfois aussi les rapports d’hostilité ou d’alliance, de sympathie ou d’antipathie envers les groupes voisins. Ces mythes peuvent être liés à des mythes cosmiques qui situent l’histoire du groupe concerné au sein d’une histoire de l’univers, qui la sacralisent en la rattachant aux volontés surhumaines, en font une «histoire sainte». On attribue aux divers groupes un ensemble de traits, une personnalité, un «caractère» du même type que ceux qu’on reconnaît à un individu. Ces traits peuvent correspondre partiellement parfois à des observations sur des faits réels. Mais ils sont «essentialisés». Ils généralisent à l’ensemble du groupe des traits qui peuvent être valables pour une partie seulement de ses membres. Ils les éternisent et les rattachent à une «vocation» éternelle, à une essence immuable dont le groupe ne peut et ne pourra se défaire.

Ces jugements sont aussi apologétiques. Ils exaltent le groupe dont ils émanent, identifient ses normes à celles de l’espèce humaine sous sa forme «normale», «saine» ou «supérieure». Au contraire, les autres groupes, surtout ceux qui jouent le rôle d’adversaires, sont dénigrés, rabaissés, «diabolisés». Leur origine est ramenée à des incidents sordides (ainsi Moab et Ammon, cousins ennemis d’Israël, dont l’origine est expliquée par l’inceste des filles de Loth, ou la mythologie actuelle des Black Muslims sur l’origine des Blancs). Leurs caractéristiques déplaisantes, anormales, à la limite infrahumaines sont aussi supposées liées à une essence dont ils ne peuvent se défaire.

On tend à identifier les compétitions, conflits et luttes du groupe avec les autres à l’éternel combat du bien et du mal. Tout s’oriente dans cette perspective, devient bon ou mauvais, et le champ du domaine neutre tend à se rétrécir. D’autre part, comme l’a bien vu J. Gabel, pour la conscience idéologique, les coordonnées du temps et de l’espace s’estompent. Les réussites du groupe, sa gloire dans le passé sont liées à son essence tout comme les échecs et les torts des groupes adverses le sont à la leur. La conscience nationale présente est projetée dans le passé. Les déviations par rapport à la norme actuelle, les fidélités différentes d’autrefois, les tendances à d’autres regroupements sont jugées comme des déviations ou des monstruosités. Toute l’histoire est reconstruite en fonction d’un projet: la constitution du groupe ethnico-national tel qu’il est aujourd’hui.

On sent, à un certain stade, le besoin de faire appel à des justifications de cette représentation du monde dans le cadre d’un système plus large que le rattachement des qualités du groupe à la volonté de son dieu «ethnarque» protecteur. Des théories laïques se forment, comme celle d’Aristote expliquant la supériorité hellène par le déterminisme géographique (Politique , VII, 7, 1327 b). Bien plus récemment, on a fait appel aux apports scientifiques du XIXe siècle en matière de linguistique ou d’anthropologie. Ce sont les théories racistes qui aboutissent à l’apologie d’une nation ou d’un ensemble de groupes ethnico-nationaux (les Blancs, les Anglo-Saxons...).

Les représentations idéologiques, outre les mythes qui définissent le groupe et son essence, en comportent d’autres définissant les situations idéales qui doivent lui servir de modèle. Elles sont situées dans un temps mythique placé à l’origine ou à la fin de l’histoire. De toute façon, il s’agit d’une situation où le groupe, le peuple libre, fort et heureux vit dans l’harmonie et dans la paix, respecté ou servi par les autres groupes, à moins qu’il ne s’identifie à l’ensemble de l’humanité. Toutes les tensions internes ou externes sont liquidées. S’il s’agit de mythes «idéologiques» au sens strict, mythes conservateurs d’affirmation, on demande de chacun qu’il s’efforce, par son comportement quotidien, de se rapprocher du modèle idéal, situé plutôt dans le passé. Dans le cas où ces mythes prennent une coloration «utopique», c’est l’action politique concertée dirigée par les autorités du groupe ethnico-national ou du mouvement, qui réalisera le modèle projeté dans l’avenir, et chacun est appelé à y participer.

Dans les mouvements organisés, les mythes et les représentations en général prennent la forme de dogmes, de «thèses», auxquels l’adhésion est requise sous peine d’exclusion et d’accusation de trahison.

Les rites, pratiques et organisations

Les rites ou pratiques marquent, en liaison avec les mythes, l’unité et l’identité de la formation ethnico-nationale, sa supériorité ou son refus de la supériorité des autres. Ils définissent, proclament et inculquent un système de valeurs qui structure moralement le groupe, appelle au dévouement en sa faveur. Ainsi en est-il des fêtes religieuses et des sacrifices communs au dieu ethnarque, des commémorations d’événements réels ou imaginaires qui auraient marqué la fondation et la vie du groupe, des prières et jeûnes publics, des pèlerinages nationaux. Il ne s’agit pas seulement de rites publics, mais aussi de rites privés qui marquent l’appartenance de l’individu au groupe. La circoncision israélite en est le type le plus achevé, mais il faut tenir compte aussi des divers rites de passage où la collectivité intervient (ainsi les funérailles nationales).

Les organisations ou mouvements qui diffusent éventuellement les idéologies ethnico-nationales ont naturellement leurs propres cérémonies d’adhésion, leurs manifestations d’unité, etc. Ils se dotent de structures organisationnelles plus ou moins élaborées et ramifiées avec des états-majors qui établissent programmes, stratégies et tactiques, des théoriciens, des militants, des statuts définissant les règles de fonctionnement, etc.

Dans les idéologies ethnico-nationales d’affirmation, les pratiques exigées ne sont souvent que celles des activités techniques et sociales indispensables à la vie de la société. On demande seulement qu’elles soient accomplies avec le plus grand soin, avec le maximum d’efficacité et d’abnégation, dans l’enthousiasme et avec la volonté de servir le groupe. Ainsi le travail volontaire supplémentaire de type stakhanoviste, l’éducation des masses, l’aide aux pauvres, le service militaire et même le trafic commercial comme à Venise. Parfois des organisations spéciales, des ordres, des associations sont établis dans cette intention. Dans les idéologies «utopiques», ces activités sont accompagnées d’un militantisme politique. Quand elles sont le fait d’organisations spécialisées ou de mouvements, ce militantisme peut prendre un caractère exclusif, les tâches de combat ou de propagande s’exerçant au détriment des activités sociales normales.

Les symboles

Les manifestations d’unité ne peuvent être perpétuelles. D’où l’importance particulière des symboles qui marquent à tout moment l’appartenance au groupe ethnico-national: tatouages, scarifications, peintures corporelles et mutilations, costumes nationaux, drapeaux et emblèmes, types de maisons et plans de villages, types d’écriture et enfin langage. Les organisations et les États font pression pour faire adopter largement ces marques d’identité qui différencient le groupe des autres. On cherche notamment (et on réussit souvent) à imposer de cette façon l’intégration des groupes hétérogènes.

Normes et sanctions

L’adhésion aux représentations idéologiques et dogmes, la participation aux pratiques et rites, la fidélité aux organisations, le respect des symboles sont des normes morales imposées au besoin par des sanctions. Leur non-observance est stigmatisée du nom de trahison. Le désaveu du groupe, intériorisé en sentiment de culpabilité, est souvent une sanction suffisante pour obtenir une observance au moins apparente. Mais souvent des sanctions sont prévues par les lois et coutumes, non seulement pour des actes d’hostilité envers le groupe, mais pour irrespect patent des normes en question.

3. Les idéologies ethnico-nationales et les autres idéologies

Aux débuts de l’histoire, quand le monde humain apparaît comme un univers d’ethnies juxtaposées, l’idéologie ethnico-nationale domine fréquemment. Il n’apparaît que des linéaments d’idéologies construites sur d’autres fondements, par exemple dans les groupes cultuels spécialisés ou les associations fondées sur l’âge et sur le sexe. Mais la concurrence est vive avec des idéologies d’autres groupes globaux plus restreints: tribus, cités, villages, etc. Fréquemment celles-ci l’emportent, conduisant à des luttes que les gens de siècles futurs dominés par l’idéologie ethnico-nationale qualifieront de fratricides, à des alliances avec l’étranger qu’elles appelleront trahisons. Les polémiques s’entrecroisent. Le plus ancien chant de guerre conservé des tribus israélites du Nord, celui de Debora, dirigé contre le chef étranger Sisera, loue les tribus participantes, adresse des reproches aux neutres, maudit une cité dont l’abstention a été particulièrement grave (Jug. , V). Des tribus gauloises alliées des Romains, et même les fidèles Éduens, finissent par se rallier à l’appel à la solidarité ethnique que lance Vercingétorix. Après un désastre espagnol en 1520, le sénat de la cité alliée de Tlaxcala délibère s’il ne convient pas d’abandonner Cortés et de se rallier à Tenochtitlán (Mexico), ennemie traditionnelle, mais ethniquement parente.

Dans les empires pluri-ethniques se forment des idéologies de l’État avec des mythes du souverain, de la dynastie ou de l’ordre impérial lié à l’ordre cosmique. Elles entrent souvent en tension avec les idéologies ethnico-nationales des diverses ethnies que l’empire englobe, idéologies de domination de l’ethnie dominante, idéologies de résistance ou de soumission des ethnies dominées.

Lorsque des groupes ethnico-nationaux différents sont englobés, fût-ce partiellement, dans des communautés idéologiques universalistes, religieuses autrefois, laïques aujourd’hui, s’identifiant ou non à un État, des tensions de même se font jour entre idéologie universaliste et idéologies ethnico-nationales. Pourtant des compromis peuvent être trouvés entre l’une et les autres, non sans dommage pour la cohérence intellectuelle des idéologies, non sans conflits également. Que l’on songe au comportement des Églises catholiques nationales au cours de la Première Guerre mondiale, chacune se déclarant guidée par Dieu, entrant éventuellement en conflit avec leur chef commun théorique, le pape. Déjà des juges de Jeanne d’Arc cherchaient à l’embarrasser en utilisant ce conflit: «Dieu hait-il les Anglais?»

Les Églises universalistes prennent sur un territoire donné une coloration ethnico-nationale, se dotant parfois d’une hiérarchie propre, ce qui permet une conciliation plus poussée des idéologies universaliste et ethnico-nationale. En Orient, les Églises nationales russe, géorgienne, arménienne, syrienne, copte..., constituent des développements de cet ordre. L’islam, en principe religion universaliste, fournit, dans ses premiers stades, un cadre idéologique aux sentiments ethnico-nationaux des Arabes. Le bouddhisme prend au Tibet une forme de ce genre. Le mazdéisme a été une religion à vocation universaliste, mais qui s’est figée en une sorte d’Église ethnico-nationale iranienne, même quand les Iraniens mazdéens dominaient d’autres peuples et d’autres communautés.

Ce processus est particulièrement efficace quand un schisme idéologique s’opère sur des lignes ethnico-nationales. Ainsi chez les Tchèques hussites et, de nos jours, en Chine communiste.

Il existe de nombreux cas où l’idéologie d’État ou l’idéologie universaliste réduisent les idéologies ethnico-nationales jusqu’à les faire presque disparaître. Elles peuvent ne rester vivaces que chez les intellectuels, les membres d’une classe déterminée ou disparaître même chez eux. Cela d’autant plus qu’un processus de fusion, d’assimilation ou d’intégration peut détruire les anciens groupes au profit de nouveaux sans tradition idéologique. Mais les bases demeurent pour le développement d’idéologies ethnico-nationales.

Les idéologies des groupes fonctionnels et surtout des classes ont souvent une force qui leur permet de concurrencer sérieusement les idéologies ethnico-nationales (comme d’ailleurs ce fut déjà le cas des idéologies des cités-États). Les classes préfèrent souvent la défaite de leur ethnie ou État à une victoire qui favoriserait leurs adversaires dans la lutte pour le pouvoir. Elles se justifient d’ailleurs par référence au bien suprême de cet ensemble qui pâtirait intérieurement d’une victoire extérieure. Les exemples sont nombreux, de la guerre du Péloponnèse à la Seconde Guerre mondiale. Cette attitude est théorisée par l’indifférentisme national de principe des idéologies universalistes religieuses ou laïques. Mais leur universalisme peut parfois camoufler une idéologie ethnico-nationale sournoise. L’idéologie de classe se confond parfois avec l’idéologie universaliste humanitaire ou humaniste qui accorde, parmi les valeurs, la préséance au bien de l’homme en général. Le bien suprême de la classe est identifié au bonheur de l’humanité comme il était identifié au bien du groupe. On a vu les vicissitudes de ces idéologies universalistes.

Le plus grand ennemi de l’idéologie ethnico-nationale est l’individualisme, pratique ou théorisé. Mais celui-ci ne se développe que dans des conditions sociales déterminées.

4. Les idéologies ethnico-nationales et le monde

Les tâches essentielles des idéologies ethnico-nationales

Les idéologies ethnico-nationales ont une fonction par rapport aux tâches essentielles qui s’imposent à toute société. Aussitôt qu’une formation d’envergure plus large que la tribu, la cité, etc., est rendue possible par les conditions économiques, démographiques, géographiques et autres, elles fournissent un mécanisme d’intégration indispensable. En même temps, comme toute formation sociale nécessite une image, une conscience d’elle-même, elles fournissent au groupe ethnico-national une image fonctionnelle et opératoire, adaptée aux exigences vitales de cette formation.

On peut préciser, avec E. Lemberg, les modes d’intégration que fournit l’idéologie: délimitation vis-à-vis de l’extérieur, affirmation d’une supériorité, et cela d’autant plus qu’on part d’une situation d’infériorité, résistance (parfois offensive) à la pression de l’extérieur, à une menace réelle ou imaginée, structuration morale interne par la définition et l’imposition d’un système de valeurs proclamées supérieures à toutes autres, déploiement de mesures destinées à assurer l’unité et la pureté de la formation ethnico-nationale, appel à l’abnégation, au dévouement à celle-ci. On retrouve les trois principes qu’Alain Touraine définit comme indispensables à un «mouvement social complet»: principe d’identité, principe d’opposition (à un adversaire donné), principe de totalité, c’est-à-dire référence à des valeurs supérieures, à de grands idéaux théoriquement admis par tous, à une philosophie ou théologie prétendant rendre compte de l’univers tout entier.

Ces définitions permettent de critiquer à la fois ceux qui considèrent les idéologies ethnico-nationales comme des épiphénomènes superstructurels à éliminer, par réductionnisme, d’un tableau des phénomènes sociaux essentiels (comme les marxistes dogmatiques qui tendent à les réduire à des idéologies de classes) et ceux qui les regardent comme un donné inconditionné et primaire, doté d’une efficace toujours et partout supérieure à toute autre. En particulier, les délimitations des formations ethnico-nationales sont contingentes, affaire de conjoncture. On ne peut invoquer en faveur d’une délimitation donnée que des tendances préférentielles. La France eût pu se former sans la Bretagne ou la Franche-Comté et avec la Belgique ou la Suisse par exemple. D’où, en certains cas, des conflits entre idéologies ethnico-nationales délimitées de façon diverse. La suprématie de l’idéologie ethnico-nationale sur les autres idéologies de groupes est également affaire de conditions, de situations, de conjoncture.

Lorsque les liens concrets, économiques en particulier, entre les diverses unités infra-ethniques étaient relativement lâches, l’idéologie ethnico-nationale était de même relativement faible, exposée à de multiples concurrences très efficaces, que l’on a énumérées ci-dessus. Lorsque la croissance de marchés nationaux intégrés dans le cadre d’États ethnico-nationaux a créé une unité plus forte, l’idéologie ethnico-nationale est devenue une force puissante. La bourgeoisie, qui participait tout particulièrement à cette intégration, en est devenue, souvent concurrencée par la dynastie régnante, le plus ardent défenseur. Elle a combattu, avec l’aide de celle-ci, l’aristocratie souvent cosmopolite et solidaire d’autres valeurs, ainsi que la religion liée à l’ordre aristocratique et tentée par l’universalisme et l’individualisme de la quête du salut. Sa revendication d’un État puissant garantissant la liberté individuelle dépassait la légitimation dynastique dans la mesure où la monarchie était organiquement tentée par le despotisme. D’où l’appel, d’abord confus, au concept de volonté souveraine du peuple qu’on pouvait définir au mieux dans le cadre des formations ethnico-nationales, qui s’exprimait par le recours aux parlements ou états généraux. Il était aisé ainsi de mobiliser les sentiments confus d’identité, implicites ou latents, de tous les membres de ces formations, de requérir l’allégeance des classes inférieures. C’est dans cette perspective que la bourgeoisie créa la nation-État.

L’idéologie de la nation-État

Très tôt, cette idéologie subit des tentations totalitaires et impérialistes qu’on traduit souvent par le terme de nationalisme. Ainsi, autour de 1300, Pierre Dubois, légiste au service de Philippe le Bel, préconisait l’abolition du pouvoir papal et ecclésiastique ainsi que l’hégémonie française dans le monde chrétien. Très tôt aussi, le modèle exerce une séduction irrésistible. Dès le XIVe siècle, des intellectuels appartenant pourtant à des ethnies pourvues d’États bourgeois, mais divisées, rêvent d’une nation-État puissante et unie. Ainsi les Italiens Pétrarque et plus tard Machiavel, stimulés par les souvenirs de la gloire romaine. Marsile de Padoue, dès 1342, donne déjà une théorie radicale de l’État laïque autonome, préalable nécessaire à une théorisation idéologique nationaliste de l’État national.

La suprématie de l’idéologie ethnico-nationale, qu’on peut désormais appeler nationaliste, fut assurée par sa théorisation à la fin du XVIIIe siècle, en liaison avec l’évolution des conditions économico-sociales et avec les situations politiques. L’idéologie universaliste chrétienne perdait son emprise et les idéologies d’État de leur séduction par suite de leur liaison avec un ordre social devenu dysfonctionnel. Les doctrines de la suprématie de la volonté du peuple trouvent un renforcement bienvenu dans l’appel aux forces profondes de la psyché populaire, en rapport si intime avec les spécificités culturelles que semblaient délimiter les formations ethnico-nationales et leurs frontières linguistiques (la langue étant le plus visible des signes). D’où l’engouement pour le Moyen Âge où cette culture populaire avait affleuré spontanément. L’universalisme rationaliste du siècle des Lumières, avec sa philosophie de l’État monarchique comme structure utilitaire d’encadrement, est dénoncé comme abstrait, ignorant et méprisant les dynamismes populaires profonds.

Les doctrines de l’État comme totalité organique exigeant l’adhésion des individus se rencontrent chez Rousseau et, de façon plus explicite, chez Fichte, liées à l’activisme moral et à l’idéal kantien de détermination autonome du moi. Elles aboutissent chez Herder (Auch eine Philosophie der Geschichte , 1774; Ideen zur Philosophie der Geschichte der Menschheit , 1784-1791) à une apologie de la diversité nationale. Il s’agissait en partie d’une réaction allemande contre l’impérialisme culturel des Français camouflé sous leur universalisme. Pour Herder, les nations sont caractérisées par des langages originaux en lesquels se coagule leur expérience vécue. Chaque nation a vocation à former un État qui seul peut lui permettre d’échapper à l’assimilation. Les nationalismes débouchent sur une doctrine générale du nationalisme.

La popularité de cette doctrine nationaliste a été immense (cf. NATION - Le nationalisme). Elle a servi à assurer la victoire des bourgeoisies de l’Europe centrale, méridionale et orientale ainsi que de l’Amérique latine en leur permettant de légitimer leur pouvoir et de mobiliser derrière elles les masses profondes de leurs peuples respectifs. Elle a rendu ensuite le même service aux élites coloniales qui ont pu ainsi s’affranchir de la domination européenne. Ici encore, la controverse entre les tenants d’une adoption d’un modèle idéologique européen plaqué sur une réalité différente et ceux d’une croissance spontanée à partir des conditions locales est inutile. Il y a eu adoption du modèle idéologique européen parce qu’il répondait aux exigences des situations du Tiers Monde au XXe siècle.

La doctrine nationaliste a pu être théorisée en idéologie conservatrice, invoquant cette même fidélité aux traditions ethnico-nationales qui, dans d’autres conditions, sert à mener à la révolte contre la domination étrangère. Elle a pu devenir de ce fait, on le sait, un rempart contre les tendances révolutionnaires, en Europe notamment. Elle a permis en particulier de détourner les ferveurs nées des tensions et problèmes internes vers l’expansion impérialiste. Le même processus s’observe dans le Tiers Monde avec des contradictions nées de l’utilisation révolutionnaire du même type d’idéologie. Il se poursuivra.

Les conflits nationaux se sont légitimés en partie par des polémiques sur la définition du groupe national comme celle de Renan contre les théoriciens allemands.

La force des idéologies nationalistes en Europe centrale et orientale a contraint les théoriciens de l’universalisme marxiste à des tentatives pour intégrer ce facteur dans leurs idéologies (O. Bauer, K. Renner, Staline), dans leur système éthique des droits et devoirs et dans leur stratégie (Lénine).

Les théoriciens du Tiers Monde (ou pour le Tiers Monde) ont eu tendance d’ailleurs, pendant une phase peut-être transitoire, à donner à leur nationalisme un cadre dépassant celui de l’État-nation, comme celui de l’ensemble des peuples négro-africains. Ces conceptions relèvent néanmoins d’une idéologie ethnico-nationale, le facteur d’unité étant recherché dans une communauté supposée d’origine.

La suprématie de l’idéologie ethnico-nationale est ainsi assurée pour le moment, avec le déclin peut-être provisoire de l’idéologie universaliste marxiste qui était restée son seul concurrent sérieux. Elle a même emprunté au marxisme ses méthodes, certaines de ses doctrines (comme celle de l’impérialisme capitaliste) et une partie de sa légitimation grâce au procédé syncrétiste classique de l’identification des buts nationaux aux buts humanistes qu’il mettait en avant. Le concept d’impérialisme, sous forme d’une caractéristique spécifique et exclusive du monde capitaliste européo-américain, s’opposant au progrès et à la liberté de toute l’humanité, rend de grands services dans cette perspective. Cette suprématie a ses théoriciens et ses apologistes qui, au-delà de la perspective marxiste classique de la justification limitée et conditionnelle de la revendication nationale, développent les idées de quête essentielle de l’identité comme ressort principal de l’histoire, de permanence d’un «fondamental» qui est la transmutation du Volksgeist romantique, de légitimité profonde d’un «nationalitarisme» sain opposé à un nationalisme pervers ou d’un «ethnisme» qui réclame la division du monde selon les frontières de groupes ethnico-nationaux, même minuscules et même lorsque leurs caractères spécifiques ont été effacés par l’histoire. Ces théories répondent à une situation et en sont le développement idéologique.

Le théoricien des idéologies ne peut que constater le rôle capital joué par les idéologies ethnico-nationales à diverses phases de l’histoire, le caractère contingent de leur émergence et de leur suprématie plus ou moins affirmées, leurs vertus et leurs vices, dont le moindre n’est pas d’aboutir à une vision d’un monde où s’éternisent les hostilités de groupe à groupe, au mépris des intérêts, des aspirations et même de la vie des groupes étrangers.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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